Apprendre plusieurs langues - 28
On ne recommande pas aux enfants dyslexiques d’apprendre plusieurs langues à la fois ; ça, c’est lorsqu’on sait que l’enfant est en fait dys. Mais dans mon cas, on ne le découvrit que dans mon adolescence lorsque j’en étais déjà à ma troisième langue. Et franchement, apprendre le français ou une autre langue, pour le dys, c’est du pareil au même (s’il ne subit de stress additionnel de son entourage) ; pour lui, tout est une question de sonorité, une syllabe à la fois, un mot à la fois, une phrase à la fois.
Mes parents passaient un mois chaque été en Espagne dans une location à Bénidorme, au nord d’Alicante. J’y appris donc l’espagnol. Ce fut ma seconde langue après le français.
Lorsque j’eu 14 ans, la famille déménagea dans les prairies canadiennes, sur la base militaire de Winnipeg, située dans une province anglophone, le Manitoba. Je n’eu d’autre choix que d’y apprendre l’anglais. Avec le temps, l’anglais remplaça l’espagnol comme langue seconde.
Au fils des ans, de mes voyages et de mon travail, j’appris les rudiments de nombreuses autres langues : l’italien, l’arabe, le mandarin, l’inuktituk, en plus des langues mortes couvertes dans mes études : latin et grec. Tout cela n’ajouta pas, comme on pourrait le penser, plus de confusion dans mon esprit. Ayant déjà maîtrisé les outils de survie et d’adaptation à la dyslexie, je pouvais entrevoir la richesse et le plaisir de connaître la base de différentes langues. Cela m’ouvrait l’esprit à des cultures nouvelles et différentes et me permettait de communiquer de façon basique avec des gens d’origines diverses.
En fait, je découvrais qu’il m’était possible de mémoriser et d’utiliser en moyenne 200 mots d’une nouvelle langue (que je notais sur une fiche, aux fins de révision quotidienne, au besoin) pour me débrouiller dans la vie courante. Bien sûr, je ne dirais pas que je parlais et comprenais tout ce qui se disait. Je me bornais plutôt à des échanges pratiques comme le suggèrent les guides linguistiques pour touristes. Avec quelques bases, je pouvais exprimer un désir, poser une question, marchander, boucler une transaction, utiliser les formules de salutations, etc.
En aucun cas je n’irais jusqu’à revendiquer que je parlais couramment une langue, à part ma langue maternelle et l’anglais. Mais pour donner un exemple, à partir de quelques mots, je pouvais construire une phrase qui pouvait être comprise par un interlocuteur autochtone. Voici un exemple en arabe.
Nous visitions un site dans le désert égyptien avec un groupe de touristes encadré par une escorte policière lourdement armée. Je voulais profiter du silence majestueux du site, un genre d’amphithéâtre naturel, mais les membres de notre escorte parlaient bruyamment. Je demandais à notre guide français de leur adresser ma demande, mais intimidé par l’autorité policière armée, il refusait d’intervenir. Je me lançais donc : « Salam aleykoum, min fadlik ! » (Hello ! s’il vous plait !) M’exclamais-je pour interrompre les policiers et demander leur attention. Ce que j’obtins sur le coup. Et alors je plaçais ma demande : « Ana awez salim, min fadlik » : littéralement : « je veux paix (je veux le silence), s’il vous plait. » Avec mon air le plus courtois et implorant que possible, je fixais le chef policier dans les yeux et j’y lus de la stupeur… puis de la compréhension. Il venait de comprendre ce que je voulais alors que je désignais l’espace vaste nous entourant d’un ample geste des bras. Le haut-gradé se tourna vers ses hommes et hurla des ordres en arabe que je ne compris pas mais qui eurent un effet immédiat : un silence absolu ! Il se tourna vers moi en souriant. Sourire que je lui rendis : on s’était compris ! Je le remerciais d’un « Soukran ! » (Merci). Notre guide n’en revenait pas, et tous les membres de notre groupe se réjouirent de cet espace de silence dans un lieu aussi grandiose.
A ce jour, je n’ai aucune idée si ma grammaire était adéquate, mais quelle importance ? L’objet d’une langue est d’être compris et de comprendre, qu’importe dans quel ordre on utilise les mots, si l’objectif est atteint. Je conclue cette histoire en soulignant, qu’au moment d’embarquer sur l’autocar pour quitter le site, le haut-gradé m’interpela et me serra la main chaleureusement. Je pense que c’était rare pour eux qu’un étranger fasse l’effort de leur parler dans leur langue avec courtoisie dans un coin aussi reculé du pays. Comme quoi, quelques mots suffisent pour rapprocher des étrangers.
Et dans un pays musulman, je découvris que connaître et utiliser à bon escient les formules sacrées (religieuses) de salutation, de politesse et de bénédiction était nettement plus important - et apprécié – que de s’exprimer sans faute.
Une astuce que j’utilisais dans les pays étrangers pour pratiquer la langue consistait à lire les plaques d’immatriculation des véhicules, puisqu’elles contenaient des chiffres et des lettres. Un outil simple à la portée de tous et sans stress. Il était aussi utile d’essayer de déchiffrer les panneaux et affiches des commerces puisque cela associait le mot avec l’image. Et la répétition de l’expérience permettait de mémoriser certains mots. Pour l’oral, l’oreille captait parfois des sons répétitifs. Il me fallait ensuite demander leur signification. Par exemple, en Italie, je captais souvent l’expression phonétique suivante : « Non mi costa di piu. » J’en aimais la sonorité et la retenais facilement. Ce n’est qu’en l’utilisant au hasard de rencontres qu’on m’indiqua son sens : « ça ne me dérange pas. »
Les formules de politesse ou de courtoisie suffisent parfois largement sans avoir à apprendre les bases d’une langue, surtout lors de courts séjours. Pour mon travail je me rendais occasionnellement dans le grand nord canadien, et dans l’avion, après le décollage, je choisissais un siège à côté d’une personne âgée ou d’un autochtone inuit. Et je profitais du temps de vol pour lui poser des questions sur sa langue alors que j’utilisais un petit magnétophone pour enregistrer la diction de ses réponses à mes questions : « Comment dit-on « bonjour » en inuktituk ? Etc. Ensuite, je pouvais pratiquer ma diction à volonté. Et je m’aperçus qu’en entrant dans un magasin, dans un hôtel, dans un restaurant, j’utilisais mes salutations en langue locale et l’on me saluait en retour dans la même langue avec courtoisie. Mais lorsqu’on me parlait ensuite, là je devais admettre, en utilisant la formule consacrée en inuit « je regrette mais je ne parle pas inuktituk ». Et mon correspondant souvent exprimait sa surprise du fait que j’avais communiqué parfaitement en arrivant. Cela suffisait pour m’assurer un service amical et une attention courtoise.
Dans d’autres circonstances liées à mon travail d’avocat canadien desservant une clientèle variée, hétéroclite et multilingue d’immigrants, il me fallait, à des fins de pure courtoisie, souvent apprendre les formules de base de salutation et de politesse. Cela faisait toute la différence. C’est ainsi que j’utilisais l’espagnol, l’italien, le mandarin, le grecque, le portugais, le philippin. Je ne connaissais littéralement moins d’une dizaine de mots de certaines de ces langues, précieusement notées en phonétique sur des fiches, mais cela suffisait pour créer un lien rassurant avec ces personnes. Dans le cas de relations continues de travail pour certaines communautés, notamment chinoise, j’attendais que les enfants sortent de l’école pour aller rencontrer mes clients et avoir recours aux enfants comme interprètes entre leurs parents et moi. Et ça fonctionnait très bien. Les enfants apprenaient l’anglais à l’école et connaissaient leur langue maternelle strictement utilisée par leur famille. Le lien se créait ainsi. Etant immigrant moi-même au Canada, mes clients comprenaient et acceptaient très bien que j’ai moi-même un accent en parlant l’anglais, qui n’était pas ma langue maternelle.
Je pense qu’être dys, dans ce cas, était un avantage car cela m’avait appris à innover, à m’adapter, à trouver diverses solutions originales pour résoudre les problèmes quotidiens, notamment ceux liés à la communication.
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