je vou zeplik - 8
- 8 -
Je vous explique ce que m‘a appris ma maîtresse pour maîtriser mon problème de dyslexie.
D’abord, il faut savoir que la dyslexie n’est pas vraiment une maladie, du point de vue du dyslexique. C’est plutôt un dysfonctionnement, comme des signaux croisés. Mais cela oblige à mettre en place une gymnastique intellectuelle adaptée spécifiquement à cette personne. C’est un problème de fils croisés entre ce que perçoivent les yeux et comment le cerveau traduit cela. Il faut donc réaliser le défi que l’on a et s’appliquer à utiliser une méthode qui nous permet de compenser et de corriger la problématique.
Le fait d’avoir présenté une partie de mon récit en écriture phonétique est intéressant. Car cela vous oblige à lire lentement, une syllabe à la fois, pour construire et interpréter les mots : exactement comme un dyslexique doit le faire pour lire et comprendre un texte normal.
Comme exemple, les mots « je vous explique » ; moi, je devais d’abord écouter les sons et penser dans ma tête comment les écrire. Il fallait que je me concentre sur un mot à la fois, parce que sinon, dans ma tête, ça donnait « jevouzèsplik ».
En séparant chaque mot, le premier, « je », est facile : c’est avec les sons « jjj » et « eeeeu » et ensemble (j-e) ils donnent le nouveau « je ». Un son, une lettre. Facile !
Ensuite, le mot « vous » est fait avec deux sons « ve » et « ou ». Ensemble ils donnent « vou ». Et là ça se complique. A cause de la liaison. Est-ce que le son « ze » allait avec le « vou » ou avec « èsplik » ?
En divisant bien les mots, je pouvais savoir que « èsplik » était un seul mot si je le mettais dans une autre phrase, comme « explique-moi ceci ». Là, il n’y avait pas de son « ze » avant. Donc le son « ze » allait avec le mot « vou » ; bon, au début j’écrivais « vouz » mais à force d’apprendre les mots par cœur, je finis par savoir que le son « ze » devait ici s’écrire avec un « s » et non un « z » : « vous ». Et pour savoir dans quel sens orienter le s ou le z que je confondais, il me fallait l’apprendre par cœur : pas d’autre choix !
La difficulté de savoir où poser mon crayon pour commencer à écrire une lettre était un défi. Si je posais ma plume en haut de la ligne pour écrire un N, cela donnait un N inversé. Même si je positionnais bien ma plume, en haut pour un S ou un Z, ensuite je ne savais pas si je devais partir vers la droite ou vers la gauche ; étant gaucher, j’avais tendance à partir d’emblée vers la gauche, ce qui donnait encore des lettres inversées. Normalement, au début, j’écrivais la lettre dans les deux sens et je choisissais « visuellement » celle qui me semblait exacte. Ma mémoire étant visuelle, cela fonctionnait assez bien même si, vous pouvez l’imaginer, mes lignes de texte étaient remplies de lettres raturées. A chaque mot, sur chaque ligne, dans chaque phrase. Mais ma maîtresse m’encourageait en ne tenant compte que du résultat final.
Après un certain, ma mémoire visuelle prit le dessus et je réglais ce problème mentalement, sans avoir à le poser sur papier. Mais ça me prenait du temps.
Le troisième mot « èsplik » est très compliqué car les deux syllabes ne s’écrivent pas comme leur son. Le son « ès » ici devrait s’écrire « es » (bestial), ce qui n’est pas logique puisque dans d’autres mots on le prononce « é » (il est beau) ou « è » (testicule); et là, pas de truc pour m’aider ; il fallait le savoir par cœur. La seconde syllabe « plik », c’était pareil. Le son « k » ici doit s’écrire « que » et les autres mots de la même famille n’aident pas : « explication », car là, le son « k » s’écrit « c » et non pas « que ». Là où la maîtresse m’aidait c’était de m’expliquer la récurrence des lettres : la lettre k en français est rare ; alors je ferai moins d’erreurs en utilisant d’emblée le « qu » ou le c » que le « k ». Ca réduisait d’un tiers mes erreurs possibles. Ici, il me fallait exagérer la prononciation pour bien entendre que la dernière syllabe n’était pas « plik » mais plutôt « pli-ke » et que le son « ke » s’écrivait normalement « que » (même si d’autres rares fois il s’écrivait « ce »); là encore ça réduisait d’un nouveau tiers mes erreurs possibles. Ensuite, c’est avec la fréquence d’utilisation que j’arrivais à mémoriser les bons sons et les bonnes lettres.
Il me fallait toujours commencer par identifier la série de sons, ensuite séparer les mots entre eux et ensuite travailler un mot à la fois, une syllabe à la fois. Ce processus prenait du temps mais fonctionnait assez bien.
Avec le temps, je pris un cours d’étymologie de la langue française où je découvris l’origine grecque, latine ou autre des mots comme caval, lux, logos, fin, ante… Et ensuite de les regrouper en famille. Cela facilitait énormément la mémorisation car tous les mots de la même famille avaient la même racine et donc les sons s‘écrivaient de la même façon. En mémorisant un mot, je savais dorénavant comment écrire tout ceux de sa famille. Et en plus, cela expliquait aussi certains accents qui remplaçaient des anciennes lettres disparues : hôpital - hospitalier / humain - humanité – humanitaire / homme – hommage / être – estre / maître – maistre – mestre (bourgmestre) – maîtrise / bourg – bourgade – bourgeois - bourgmestre, etc. Dans ce cours je compris aussi les préfixes et les suffixes, qui se reproduisent partout dans la langue française : a, an, ante, pos, en, pré, pro, sous, sur, entre... / phie, gie, et, aille, ac…
Pour m’aider à mémoriser les mots, ma maîtresse me recommanda de lire le dictionnaire, une ou deux pages par jour ; ainsi je voyais visuellement l’orthographe des mots qui de plus, se retrouvaient en famille. Et le dictionnaire proposait aussi une certaine phonétique des mots, bien que pas très réaliste, selon moiDe là, je progressais à lire l’encyclopédie Larousse. Apprendre du vocabulaire devint crucial pour moi. Par exemple dans le Larousse, « grandiloquence » se prononçait « grãdil>k>s » qui pour moi se prononcerait « gradilque » et non « grandilokanse ». La phonétique traditionnelle enseignée en classe me mélangeait plutôt qu’autre chose. Le pire est que nous avions des dictées de cette soit disant phonétique, ce qui était pire pour moi que l’orthographe normale !
Commentaires
Enregistrer un commentaire